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Lyon au XIX° siècle
28 janvier 2007

La Fabrique de soieries

Canuts et Négociants.

atelier_canutL’industrie lyonnaise de la soie, la « Fabrique », s’appuyait sur une organisation particulière, comportant trois éléments. Les Négociants, appelés aussi Fabricants, achetaient le fil de soie, le faisait teindre et le donnait à tisser aux Maîtres-ouvriers. Ceux-ci, appelés aussi Chefs d’atelier ou Canuts, tissaient la soie selon les instructions des négociants. Ils travaillaient à leur domicile et avaient la charge de l’achat et de l’entretien des métiers à tisser. Ils étaient rémunérés « à façon », au prix fixé par les négociants. Les ouvriers tisseurs, Compagnons ou Apprentis, travaillaient chez les chefs d’ateliers et percevaient généralement la moitié du prix payé par les négociants.

Cette organisation, spécifique à la Fabrique de soierie, dispensait les négociants des coûts d’investissement et d’entretien des métiers tout en leur permettant de fixer unilatéralement le prix du travail exécuté par les tisseurs. Les canuts, bien qu’ayant théoriquement le statut d’artisans, étaient en réalité « des prolétaires contraints d’acheter leur outil de travail ». Ce mode de production permit aux négociants d’édifier des fortunes considérables en maintenant les maîtres-ouvriers et leurs compagnons dans une grande précarité.

« A Lyon, plus que dans d’autres cités, l’opulence marchande s’est établie délibérément sur la misère physique et morale ouvrière. » (Justin Godart)

Dès le XVIIIe siècle, « le mécanisme habile » mis en place par les négociants a été analysé par les économistes. Certains, comme Mayet, membre de la Chambre royale des manufactures (en 1786), en tirent la conclusion que la misère des ouvriers est la condition de la prospérité de l’industrie.

« Pour assurer et maintenir la prospérité de nos manufactures, il est nécessaire que l’ouvrier ne s’enrichisse jamais. Personne n’ignore que c’est principalement au bas prix de la main-d’œuvre que les fabriques de Lyon doivent leur étonnante prospérité. Si la nécessité cesse de contraindre l’ouvrier à recevoir de l’occupation, quelque salaire qu’on lui offre, s’il parvient à se dégager de cette espèce de servitude, si ses profits excèdent ses besoins au point qu’il puisse subsister quelques jours sans le secours de ses mains, il emploiera ce temps à former une ligue. Il est donc très important aux fabricants de Lyon de retenir l’ouvrier dans un besoin continuel de travail, de ne jamais oublier que le bas prix de la main-d’œuvre leur est non seulement avantageux par lui-même mais qu’il le devient encore davantage en rendant l’ouvrier plus laborieux, plus soumis à leur volonté. »[1]

Un siècle plus tard, l’ouvrier socialiste lyonnais Joseph Benoit décrit avec colère cette même organisation qui a survécu à trois révolutions et deux insurrections.

« Le mot de fabricant, quand il s’adresse au négociant, est impropre et ne rend pas compte de la situation véritable. (…) Le négociant-fabricant est simplement un capitaliste qui engage des fonds dans l’achat des matières premières pour les revendre ouvrées. Son capital n’a pas d’autre destination. Tout le matériel utile à la fabrication appartient aux chefs d’atelier qui y ont un capital énorme engagé ; capital dont le négociant-fabricant seul profite pour faire concurrence aux fabriques étrangères qui sont placées dans d’autres conditions. Aussi, à Lyon, pour être fabricant et pour faire des affaires considérables, la mise de fonds est de beaucoup inférieure à celle qu’exige la plupart des industries. On sait comment, avec cette organisation, les fortunes des fabricants sont rapides et étonnent, à juste titre, ceux qui ne connaissent pas le mécanisme habile qui les produit. »[2]

Bernard COLLONGES

Editions Aléas 2004

[1] M. Mayet, rapport à la Chambre royale des manufactures en 1786.

[2] Joseph Benoit, ouvrier tisseur. « Confessions d’un prolétaire » 1871.


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